Hararimbaud

Harar ressemble un peu à une médina marocaine, dans laquelle on aurait déposé les  commerçants d’un marché indien. Perchée dans les montagnes au-dessus de Dire Dawa, elle considère la vallée avec la fierté qui sied à son titre de quatrième lieu saint de l’Islam.

La vieille ville est un dédale de ruelles étroites qui serpentent entre des murs peints de couleurs légères. Elles débordent, ces ruelles, de gosses qui jouent au foot avec des ballons approximatifs, de vieux Hadjis appuyés sur des cannes, de mâcheurs de Kat (on y reviendra), de mosquées vert gazon, de marchands extraordinairement divers. Elles charrient des fleuves bigarrés de gens, des Oromo, des Harari, des Amhara, des Farandji, chaque communauté vêtue à sa manière. Elles résonnent des cris des vendeurs, des disputes et des muezzins.

Au détour de l’une d’entre elles se trouve la maison de Rimbaud.

Ce n’est même pas sa vraie maison. Celle qu’il a réellement habitée, au même emplacement, a été détruite ; ou bien elle était ailleurs dans la ville, enfin apparemment on ne sait pas très bien. Ça n’a pas vraiment d’importance. Dans cette haute et belle bâtisse construite, dit-on, par un commerçant indien, on trouve quelques photographies, quelques lettres, des poèmes, une biographie. Accrochés dans de vastes salles sombres et poussiéreuses, ces témoins de l’existence africaine de Rimbaud ont un charisme mélancolique et puissant. On redécouvre sa trajectoire étrange, sa vie de fuites et d’aventures débridées ; enfin ses vies. On le suit. L’adolescent poète solaire abandonne les mots, s’ennuie quelque temps, puis se métamorphose et devient l’homme aux semelles de vent. Elles finissent par le porter à Aden, puis à Harar où il est un peu négociant, un peu trafiquant, un peu caravanier, un peu explorateur. Tout un pan de sa vie dont (sourd peut-être) je n’avais que peu entendu parler, ou alors vaguement, comme s’il fallait venir jusque-là pour l’appréhender.

J’appréhende, ému. Par les fenêtres à carreaux de verre colorés, je regarde d’en haut le visage de la vieille ville, peut-être pas si différent de celui qu’il a connu, et je me perds encore un peu dans les méandres de son histoire. J’aperçois de longues files de dromadaires chargés d’armes à travers le désert, des attroupements de villageois nus et curieux, et des blancs à moustache suffisante qui fument la pipe sur le perron d’une maison exotique. Sous leur casque colonial, ils ont l’air fatigué des malades chroniques.

Je vois tout cela et – Harar blanc, rouge, Harar vert, Harar bleu – je deviens  vaguement autre. L’espace d’un instant, je est un tout petit peu Rimbaud.

Une réflexion au sujet de « Hararimbaud »

  1. Dieu que j’ai envie ! ah, oui ! et heureusement que tes yeux voient, pour suppléer les miens trop lointains.
    tu fais un beau r’un beau.

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