Les cavaliers

Les villages éthiopiens sont pleins de surprises.


Meti, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Addis Abeba, n’est guère plus qu’une rue sillonnée d’ânes et de bétail, bordée de boutiques et de maisonnettes de plain-pied. Pourtant, lorsqu’en chemin vers Addis nous entrons dans le village, la route est encombrée d’une foule compacte d’hommes émaciés, de femmes endimanchées et de nuées de gosses : en tout, peut-être, cinq cent à mille villageois. Contrairement aux habitants de la capitale que leur coquetterie pousse à se protéger du soleil, ils ont la peau sombre et tannée ; leurs vêtements, à force de poussière, couvrent toute la palette des bruns et des gris, et les grands tissus de coton blanc dont ils se couvrent les épaules tranchent joliment sur ces couleurs éteintes.

A travers la masse fluide des villageois, des cavaliers nombreux galopent en formation serrée, armés de longues lances et de boucliers noirs. Ils vont et viennent le long de la route en rugissant à la cantonade, sans s’arrêter, une longue litanie que nous ne comprenons pas. Leur manège doit durer depuis des heures, le meneur a la voix éraillée de celui qui a trop crié. Non loin de nous, un cheval épuisé plie soudain sur ses pattes arrière, manquant de jeter son maître à terre.

Ces hommes à cheval forment des groupes compacts dont la puissance attire et effraie un peu à la fois ; les chevaux eux-mêmes, pavoisés de pompons jaunes et rouges, ont fière mine. Malgré le décor rural et la mise simple des cavaliers, leur parade a une superbe qui n’a rien à envier à de plus riches défilés. Autour de cette masse rapide de cuir, de bois et de sueur qui va et vient inlassablement, la foule se tait. Pas de musique, pas de chants, pas de tambours. C’est peut-être le plus étrange, ce silence obstiné qui entoure la cavalcade…

A côté de nous, un jeune étudiant parle anglais. Sous les regards curieux de nos voisins – mais que font là ces farandjis ? – il nous décode la scène : on enterre un notable du village. Les cavaliers se sont rassemblés pour l’occasion, et leurs cris célèbrent la mémoire du défunt. Quelques minutes plus tard, en effet, on voir sortir d’une maison toute proche le cercueil en mouvement sur les épaules des porteurs. Animé d’un léger roulis, il s’éloigne vers un sentier de traverse, en direction du cimetière qui surplombe le village

La foule suit. Quelques cavaliers passent encore, et lentement le village se vide. Nous regardons partir le mort tandis que s’éloigne le fracas des sabots, des lances et des élégies rauques.

Notre vie citadine, un instant, nous semble un peu pâlotte.

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