Bisengo ya mokili

Kinshasa est au carrefour des mondes.

Les nantis passent en rutilants 4×4 au milieu de la foule des gueux. Les sapeurs habillés Gucci et Saint Laurent se font astiquer pour quelques centaines de francs par des cireurs en haillons.
Au coin de la rue, un tuyau percé qui devrait alimenter quelque ministère fuit paisiblement au fond d’un trou dans la chaussée. Un shégué s’y lave avec l’eau des grands de ce monde.
L’idéaliste MSF de 24 ans y croise, au hasard d’une réception, un marchand de diamants carnassier qui a connu deux guerres civiles. L’agent secret qui passe par là surveille ; on ne sait jamais.
On voit des belges et des français, des roumains, des italiens, des américains, des latinos et des scandinaves, des ghanéens, des chinois, des tchadiens, des rwandais, des sudafricains, des bas-Congo, des kivutiens, des kasaiotes et des katangais. Dans cette foule polyglotte, les africains détiennent la palme. Le premier congolais que j’ai rencontré ici parle six langues sans effort.
Les objets suivent eux aussi cette tendance générale au cosmopolite. Les voitures kinoises sont d’aimables patchworks : carrosserie Renault, moteur Toyota, pot d’échappement BMW, ceintures de sécurité en ficelle à rôti d’une boucherie du Marais. Nous suivions l’autre jour une voiture ornée à l’arrière d’un autocollant Groland. De vieux bus de la RATP recyclés transportent les congolais au boulot. Des combis Volkswagen vieux de trente ans, à l’intérieur desquels on a vissé des bancs en bois bien serrés, tiennent lieu de taxis collectifs. Les gens y sont assis quasiment les uns sur les genoux des autres. Certains passent la tête par des ouvertures taillées dans la carrosserie pour respirer un peu de fraîcheur et de poussière. Le moindre trou dans la chaussée et c’est la décapitation. Ce sont les risques du métier.
Kinshasa récupère tout, recycle tout ; ses propres rebuts comme ceux de la vieille Europe : l’obsession du neuf n’a pas cours ici. Quant au chemin qu’ont suivi tous ces objets pour arriver jusqu’ici, c’est un grand mystère.
Et tout ce petit monde se téléscope anarchiquement dans un flot de klaxons, de rumba, de bière Primus et de rumeurs infondées.
C’est le bordel.
C’est très marrant.

[Photo : Cédric Kalonji, http://www.congoblog.net]

8 réflexions au sujet de « Bisengo ya mokili »

  1. merci Matt d'écrire aussi bien, je me sens pas mal chez moi en lisant tout ça 🙂 Quel dommage qu'il n'y ait pas de photos, tu devrais sympatiser avec quelques agents secrets pour te faire équiper… En tout cas oui, le bordel c'est marrant, un peu fatiguant aussi parfois mais mieux vaut ça qu'un Singapour !

  2. C'est le slogan de la Primus, littéralement (à peu près, c'est dur à traduire) : « les plaisirs du monde ». J'annonce donc officiellement la victoire de Brigitte, qui recevra sa boîte de quatre kilos de lait en poudre quand la poste marchera.

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