Werej Alleh

(à noter que les minibus avec des oreilles Nike vont plus vite que les autres)

Pour se transporter  à travers Addis Abeba sans user ses semelles, tout nouvel arrivant est confronté à une alternative.

Soit héler un de ces Contract Taxi bleus et blancs qui sillonnent la ville en tous sens, dont les prix d’annonces aux farenji s’élèvent presque toujours à trois fois le prix de la course, et qu’il faut négocier interminablement.

Soit opter pour les minibus, dont les prix sont fixes quelle que soit la couleur de la peau des passagers et, de surcroît, dix fois inférieurs à ceux des Contract Taxi.

Les minibus fonctionnent sur des itinéraires dont ils ne dévient jamais, mais qui ne sont inscrits nulle part. Pour orienter les passagers, un receveur penché par la fenêtre du minibus crie à chaque arrêt le nom du terminus, qui est également rappelé sur un petit panneau perché sur le toit du véhicule. Simple ? C’est plus compliqué qu’il n’y paraît pour le voyageur néophyte, qui ne sait même pas expliquer où il va. Et puis il ne sait pas où se trouve ce fameux terminus ; et de toute façon, il ne comprend pas bien ce que dit le receveur, qui parle très vite et sans faire d’efforts d’élocution. Enfin, le panneau perché sur le toit du minibus est en amharique. Il ressemble donc à ça :

Face aux minibus, le voyageur addisien des premières heures est donc un peu désarmé. Il songe aux touristes japonais dans le métro parisien. Il a, pour la première fois, un soupçon d’empathie pour eux. Il se promet de les aider à l’avenir. Car les éthiopiens l’aident, lui. Ils lui indiquent où aller attendre, par où passer, où changer. Ils vont jusqu’à l’aider à monter dans le bon véhicule – car c’est parfois la guerre. Qu’ils soient bénis à jamais pour leurs bontés.

Cela ne s’arrête pas là. Une fois dans le minibus adéquat, il faut encore savoir où s’asseoir, comment payer, où s’arrêter. C’est d’ailleurs là le point le plus critique : pour demander à descendre, il y a une formule magique en amharique, « Werej Alleh ». Il n’en est pas d’autre qui marche. Le malheureux qui oublie ces mots sacrés est condamné à rouler jusqu’au terminus en criant désespérément ‘please STOP’ au receveur, qui s’en fout. Ses larmes amères, ses injonctions à genoux n’y feront rien.

Werej Alleh, c’est le Sésame des transports addisiens.

Et c’est ainsi qu’en début de semaine dernière, je prends pour la première fois le minibus, sur un trajet d’à peine un kilomètre que j’aurais pu faire à pied. Civilement aidé par un éthiopien qui passait par là, je monte dans le bon taxi du premier coup. Je dis bonjour, pose une fesse conquérante sur un bout de banquette qui dépasse, paye le montant correct avec un billet adapté. Deux minutes plus tard, Werej Alleh, je descends.

Alors, envahi d’une joie que je n’ai pas vue venir, je me marre :

Quand on découvre un pays, il n’est pas de petite victoire.

4 réflexions au sujet de « Werej Alleh »

  1. Hé, mais ça me rappelle les bus boliviens à Potosi, ça ! C’était un gamin qui criait très fort et en boucle le nom du terminus : tu avais du mal à savoir où commençait le mot et où il se terminait (matthieumatthieumatthieumatthieumatthieumatthieu = atthieum ? thieumat ? eumatthi ?).

    Bravo pour la victoire !

  2. Toutes mes félicitations. En espérant que tu n’aies pas bénéficié de la chance du débutant et que tes prochaines escapades soient aussi couronnées de succès.L’aventure est au coin de la rue …

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