Made in China

A Addis comme à Kinshasa, le monde qui nous entoure est aussi chinois qu’éthiopien.

Le Made in China est partout. Les batteries de vaisselle, les chaussures, les vêtements, les parpaings, les télés, les meubles, les draps sont chinois. Les fours et les frigos, les seaux, les ampoules et les vélos sont chinois. Prenez au hasard n’importe quel petit appareil électronique en plastique muni de loupiotes clignotantes : il a deux chances sur trois de venir de l’Empire du Milieu.

Tous ces objets sont pour moi une source permanente de frustration. Accompagnés de modes d’emplois qui vantent dans un anglais de cuisine leurs multiples fonctions, ils marchent généralement de travers, ou alors juste le temps des les utiliser deux ou trois fois. C’est ainsi qu’au bout de quelques jours le manche du couteau vous reste entre les mains et que, à peine sortie de sa boîte et posée sur le feu, la cafetière émet des sifflements terrifiants, menaçant d’exploser à ma trogne encore endormie. La bassine en plastique bleu fond à l’eau chaude. Certaine serrure d’un tiroir de mon bureau, mystérieusement reliée aux autres par quelque mécanisme idiot, ne peut être ouverte si sa voisine n’est pas fermée. Les chaises cassent, les couleurs passent, les prises électriques prennent feu, la peinture s’écaille, les étiquettes se décollent, les joints sèchent, les tabourets branlochent, la rouille bamboche, et les matelas neufs bloblotent comme l’horrible gelée de nos voisins anglais.

Etrange environnement que ce monde afro-asiatique fait de plastique à volutes dorées, si grandiloquent et si fragile à la fois. Sa clinquante inefficacité a quelque chose de naïf et parfois même de poétique. Peut-être est-elle aussi ce que notre modernité a produit de pire. Objets martyrs, Cour des Miracles obsolète, comme je vous plains…

Je ne sais pas si c’est par peur des représailles que les chinois qui vivent en Ethiopie sortent si peu. On sait qu’ils sont nombreux mais on ne les croise que rarement, le plus souvent sur un chantier, avec un casque jaune sur le crâne et l’autorité des chefs dans l’attitude. C’est dommage. J’irais bien leur demander comment c’est chez eux. Est-ce que les carrosseries de leurs voitures perdent leurs couleurs au soleil ? Est-ce que les rues sont sillonnées de jouets croulants en polyuréthane toxique Hello Kitty, hurlant comme autant de tocsins leur mort prochaine ? Est-ce qu’on donne aux concepteurs de tiroirs de bureau des cours spéciaux de cryptographie ?

On me répondrait probablement qu’il vaut mieux un matelas branlant que pas de matelas. Et, probablement, on aurait raison.

Mais l’autre jour, alors que nous étions en vadrouille dans la cambrousse éthiopienne, un petit groupe de chinois très souriants est venu me demander s’ils pouvaient se prendre en photo avec moi. Je leur ai demandé s’ils voulaient que je pousse des cris d’animaux, pour avoir l’air plus exotique. L’air gêné, ils m’ont assuré que ce n’était pas la peine.

On a pris la photo. Dessus, je tire la langue. On se venge comme on peut.

Une réflexion au sujet de « Made in China »

  1. Je te vois bien en autruche-cortex-moutarde : elle s’enfouit la tête pour réfléchir sur sa condition, en sort une pensée synthétisante croustillante qui descend au nez ce qui a pour effet de lui faire relever la tête.
    Je te laisse imaginer son cri…

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