Dakar loin des élections

Mr. T a les pecs qui s'écaillent

Dakar, encore.
Je passe mes journées, en compagnie d’un nombre variable de collègues, dans un bureau de la capitale sénégalaise décoré seulement d’un de ces tableaux abstraits que l’on trouve toujours dans les entreprises, laid et bleu, et que je connais maintenant par cœur. Au-dessus du bâtiment passent, bas à pouvoir les toucher, les avions qui descendent sur l’aéroport tout proche. Ils rythment la journée dans un immense fracas de moteurs et d’air martyrisé.

La vie est faite de café et de sandwichs, de cravates, d’hôtels, de schémas compliqués, de vidéoprojecteurs et de sièges à roulettes.

Il paraît pourtant que, dehors, on manifeste. Que des pneus brûlent, que des grenades lacrymogènes explosent dans d’innocentes mosquées, que les pierres volent. Tout le monde en parle autour de nous : un vieux président s’accroche, la nation marche dans les rues du Plateau, des gens s’époumonent, et parmi eux certains meurent de s’être trouvés malchanceux sur le passage d’un projectile, d’un tank ou d’une matraque. Rumeurs, bruits de couloir, analyses et commentaires s’entrecroisent avec passion sous le soleil marin de la capitale.

Moi, je ne vois tout cela qu’au journal télévisé que l’hôtel me sert avec les croissants matinaux. Les manifestations et leur violence n’ont qu’une réalité diffuse, à peine raffermie par les petits tas de caoutchouc brûlé que l’on aperçoit sur le bord de la route. Dakar brûle sur une autre planète (à moins que ce ne soit moi qui travaille dans un monde parallèle ?). J’ai l’impression de passer à côté de quelque chose…

Tout cela serait bien triste s’il n’y avait la pointe des Almadies. On y est tout au bout de l’Afrique, à l’extrémité de ce grand bras de terre tendu dans l’Atlantique qui porte la capitale dans le creux de sa main. C’est une petite plage au bout d’une route sans attraits, qu’on a épargnée de tout monument, mémorial ou panneau. On n’y trouve que quelques cahutes, un vague préau abritant des barbecues sur lesquels grillent des brochettes, des tables, des chaises, et des mamans en boubou qui préparent le poisson. Trois musiciens qui chantent en chœur. Un parking. Des chauffeurs de taxis qui palabrent en buvant du thé.

Là, le soir, assis à l’une de ces tables bancales, on se nourrit de lotte fraîche en sirotant de la Gazelle. Le vent du large rend les mains un peu collantes. On y retrouve la mer que l’on croyait perdue dans le béton de la ville, avec bonheur et soulagement. On l’écoute, on la sent, on la boit par tous les pores ; plongée dans le noir, elle est puissamment présente, comme un gigantesque animal tapi dans la nuit dense. On est assis au bout du monde. Loin des moquettes, des néons et des œuvres d’art de bureau, loin des manifestations. Sans regrets, cette fois.

2 réflexions au sujet de « Dakar loin des élections »

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