Vive la mariée (Acte III et Epilogue)

Suite et fin de la saga commencée .

Acte III : On n’est pas là non plus QUE pour rigoler

[Même décor et même ambiance, rapport à l’unité de lieu. Les gens assis commencent à avoir faim mais le spectacle continue]

AUGUSTIN (sémillant) : Tout ça est bel et bon, ami Onésiphore, mais nous n’en avons pas encore tout à fait terminé. Maintenant que la mariée est arrivée, il convient d’examiner la facture ! Vérifions ensemble, si tu le veux bien, que rien n’a été oublié.
ONESIPHORE : Certes. Allons-y.
 [Papa Augustin sort de sa poche un morceau de papier]
 
AUGUSTIN (déclame) : Nous disions donc, pour commencer – une montre en or, bracelet homme !
ONESPIHORE : La voici.
[Il sort un billet de cent dollars de sa poche et le donne à son assistant, qui le brandit devant le public. Applaudissements nourris]

AUGUSTIN : Un costume gris, taille 50 !
[A nouveau, le billet qui change de mains, la présentation au public, les applaudissements]

AUGUSTIN : Pour la mama, quatre wax hollandais* !
[Même jeu]

AUGUSTIN : Deux bassins et une marmite !
[On apporte cette fois les ustensiles, qui dormaient dans un coin de la cour]

AUGUSTIN : …et enfin, un étui à lunettes neuf, doublé cuir !
ONESIPHORE : Le voici.
[L’étui à lunettes apparaît et disparaît dans la poche du papa]

AUGUSTIN : Papa Onésiphore, je déclare que vous vous êtes acquittés fidèlement de la facture que je vous avais présentée. Nous voilà quittes !
[Fin de l’acte III. Ils seront heureux et auront beaucoup d’enfants]

Epilogue

C’est la fin des salamalecs. On se lève. Le petit buffet est pris d’assaut, par la famille du marié seulement car leurs hôtes ont pris soin de dîner avant la cérémonie. Pendant que les invités mangent, eux se mettent à danser sur la musique repartie de plus belle après ces longs discours. Rapidement tout le monde frétille sur la piste, et les deux familles se retrouvent hors des cols amidonnés et des raideurs du protocole. L’étiquette se dissout dans les guitares du Wenge Musica. Les jeunes, sapés de pied en cap, la casquette assortie à leurs godasses fièrement perchée sur le crâne, répètent ensemble les chorégraphies des tubes du moment. 
Nous nous éclipsons discrètement.

On ne sait trop quoi penser d’une telle cérémonie. Nous savons que la transaction qui vient de se dérouler sous nos yeux n’était pas bidon. L’argent échangé ne sera pas rendu, et personne n’en connaissait le montant à l’avance. La facture est la facture. Tous les pères de la ville la présentent au jeune homme qui demande la main de leur fille, et elle est parfois âprement négociée. On aurait même vu des mariages annulés au dernier moment parce qu’une des poules de la facture boitait.
Tout ça semble d’abord un peu trivial. Lorsque nous avons raconté la cérémonie à nos collègues congolais, plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été surpris que nous puissions nous intéresser à ce spectacle ; pour eux tradition ennuyeuse, outrageusement protocolaire et qui manque de sincérité.
Mais à bien y penser, la sincérité n’est pas le propos. Cette façon de mettre en scène l’événement, de le théâtraliser à fond, de le jouer comme si c’était une blague, n’est-ce pas plutôt une manière délicate de distancier le sujet ? D’alléger un peu ces transactions fastidieuses ?  Quoiqu’en pensent nos collègues, je trouve qu’il y a là la une sophistication et une pudeur touchantes. Un talent très particulier pour rendre poétique le détail le plus terre à terre.

Le mariage coutumier à Kinshasa, c’est du Zola raconté par Molière.



*Les wax sont des pagnes. On les appelle ainsi parce qu’ils sont réalisés avec des cires hydrophobes

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