Le temps est plus long dans ces promenades que dans les virées en voiture, où l’on vrombit d’un animal à un autre dans le cliquetis des appareils photos. On marche un peu et l’on s’arrête beaucoup. On écoute, on touche, on goûte. Le guide lit pour nous dans les signes de la nature comme un interprète le ferait d’un texte hébreu. Les mains derrière le dos, on admire en silence un crâne de pachyderme, une plante bizarroïde, un insecte inquiétant, une trace de lion, des cacas d’animaux variés. Ça vous paraît un peu décevant ? Vu comme ça peut-être… Mais mal réveillés dans ce petit matin frileux, au milieu d’une savane toute plate aux arbres tordus, lumineuse, rose et jaune pâle, il n’y avait plus qu’une chose de vraie : on ne trouve pas de limite à la beauté du monde.
Out of Kinshasa
C’est un drôle de voyage. On prend l’avion, puis un autre avion plus petit, puis la route, puis la piste. Au bout du chemin, un improbable camp semé de grandes tentes confortables, et au milieu un bar/restaurant. On peut y boire une bière en terrasse comme si on était rue Oberkampf, avec des éléphants à la place des voitures et des singes en guise de passants. Les girafes font les lampadaires, les platanes sont des arbres à saucisses ornés de lourdes biroutes grises et de fleurs rouge sombre. Le quartier est vraiment sympa.
Et la nature environnante est pleine de prodiges. Le vervet monkey a les couilles bleu azur. L’hippopotame promène sous l’eau son grand tonneau de corps. Entièrement immergé, il galope sur le fond de la rivière avec la grâce légère d’un astronaute sur la lune – attitude irresponsable qui ne l’empêche pas d’être socialement schizophrène. Le zèbre est pétomane ; le chimpanzé moyen est plus expressif qu’un homme barbu. Les termites cultivent des champignons dans de petites montagnes qui durent plus de cent ans. Le léopard se déguise en impala. L’enfant babouin a un parrain.
Mais moi, je trouve que rien ne dépasse en poésie l’éléphant. Il a de grandes oreilles flottantes battant lentement comme des voiles, quatre grosses pattes en porte-parapluie, des yeux doux de fille aux longs cils clairs, une grande tête placide à la peau grise de grand-mère. Il produit pensivement des bouses épaisses comme des dictionnaires en absorbant par l’autre côté des quantités formidables d’herbe fraîche, qu’il cueille adroitement avec le nez. Il est grand et gros et miraculeux, pataud, délicat et puissant. Il porte à la contemplation. Il me manque déjà.
Plusieurs fois, nous nous sommes promenés au petit matin dans le parc naturel voisin, à pied, précédés d’un guide. Sans poils, sans griffes, sans crocs, sans ailes et sans sabots, sans trompe ni venin, je me suis senti tout nu malgré mon bob Tusker*.
* Le bob Tusker habille les beaufs kenyans comme le bob Ricard habille mon beauf
Un fugitif souvenir de pétard dans la bouse me vient quand tu parles de caca d'éléphant gros comme un dictionnaire.
Ecrit comme ca, c'est déjà vraiment très bien, mais une petite photo de ci de là de la savane lumineuse et de ses autochtones à trompe, ca ferait bien plaisir.
Sinon, t'es toujours le plus fort.
Je comprends si bien les yeux encore un peu collés du matin : j'ai eu cet émerveillement avec les marmottes et les bouquetins cet été; alors avec un égnéphant…
Merci pour ce beau récit !
Au Vanuatu il n'y a pas d'éléphants mais il y a de la bière tusker.
Les Ni-Vanuatu savent ils que leur bière porte le même nom que celle des Kenyans ? Sont-ils jaloux de ne pas avoir d'éléphants ? Et est-ce pour compenser ce manque qu'il porte l'étui pénien orienté vers le haut… ?
Manu : Je ne sais pas… mais leur dégaine avec ça doit valoir son pesant de cacahuètes !