Après la pluie. J’attends le minibus.
A une dizaine de mètres de moi, l’enfant danse sur le trottoir mouillé.
C’est un petit cireur de chaussures, qui peut avoir douze ou treize ans. Vêtu d’un vieux jean et d’un blouson un peu léger pour la fraîcheur cette fin de journée, il tourne, saute, s’agenouille et virevolte, indifférent complètement à la rue autour de lui. Ses mouvements compliqués contrastent aimablement avec celui, logique, dirigé, rectiligne des passants qui rentrent chez eux. Sa boîte à cirage et sa brosse gisent oubliés un peu plus loin dans le caniveau.
Je regarde avec fascination ce gosse tout auréolé d’une liberté éphémère et jubilatoire. Il est beau. Il a l’air inaccessible dans son rêve éveillé ; loin, loin de moi, de la rue, de ses flaques d’eau, de ses outils de travail. Plus rare et plus émouvant encore : il fait son âge.
Soudain, au détour d’une figure, il croise mon regard. Timide, il s’immobilise. J’ai l’impression d’avoir cassé quelque chose. Désireux de laisser l’enfant tranquille, je me détourne et me remets à surveiller la route dans l’attente du minibus.
Mais je le vois du coin de l’œil qui se rapproche de moi, très doucement, pas à petit pas, comme le ferait un animal craintif. Il s’adosse négligemment au poteau électrique, puis s’assied sur le trottoir un peu plus près, puis, les mains derrière le dos, se lève et se rapproche encore, l’air dégagé. Au bout d’une minute ou deux de ce manège, il est là qui me regarde carrément, en silence. Je me tourne vers lui. Que lui dire ? « You dance like Michael Jackson ». Sourire immense : j’ai bon. Ici comme à Kinshasa, Saint Michael est bien vivant.
Le minibus n’arrive pas. Je salue le petit et pars à cloche-pied. Ca le fait rire. Dans mon dos, je l’imagine qui esquisse un Moonwalk.
Tandis que je m’éloigne, la tentation est forte de me construire des symboles. La revanche de la jeunesse sur la dureté de la vie, la formidable vitalité de l’Afrique en dépit sa pauvreté, l’Art qui transcende la trivialité du quotidien. C’est idiot… Est-ce que ça ne se suffit pas à soi-même, un gosse qui danse ?
Je voulais illustrer cet article avec un portrait du petit, mais je ne l’ai pas revu depuis la scène que je décris ci-dessus. J’espère qu’il va bien. En attendant, c’est un gamin de Harar qui joue sa doublure.
Allez je me lance, je ne peux pas rester sans rien dire, sans te faire un petit signe…et pourtant si tout est si joliment dit et ressenti que toute émue je ne sais pas quoi dire, sinon encore….encore……..encore. Biz
Dans des circonstances beaucoup plus rupines, j’en ai croisé un, un jour, qui dansait avec son ombre projetée sur un mur. Partout, un enfant qui danse c’est un souvenir inoubliable.
Je vais tâcher de guetter la poésie en attendant le métro. Si seulement !