Les cigales

Nous avons découvert les Washiba quelques semaines après notre arrivée à Kinshasa. Mené par trois anciens acteurs fous à lier, le groupe mêle les influences les plus diverses, musique traditionnelle de leur Kasaï d’origine, funk, afrobeat, reggae, rumba, dans un brouet exubérant des plus sympathiques.

Leurs concerts sont un bonheur sans mélange. Ils arrivent sur scène, une petite dizaine de musiciens drapés dans des costumes années 70 aux couleurs violentes et aux reflets satinés. Ils sont toujours affublés de perruques afro : pour un groupe dont les membres sont tous aussi crépus que congolais, c’est une petite pirouette qui me réjouit beaucoup*. Evidemment, ils sont ridicules dans cet accoutrement, mais ils ne le restent que le temps de monter sur scène et de lancer le spectacle. Car alors tout s’anime. La scène prend vie. Ils jouent, ils rient, ils dansent, ils rappent, ils chantent, ils débitent avec sérieux des histoires invraisemblables, et tout à coup ils ne sont plus ridicules du tout : ils sont un mélange curieux de drôle et de superbe, de  grotesque et de gracieux.

Au milieu, il y a Moïse. C’est un homme corpulent avec des membres épais comme des troncs d’arbre et une large tête aux traits expressifs. Il danse avec une agilité surprenante pour son gabarit, des petites chorégraphies parfois improvisées avec ses compères du devant de la scène. Volubile et puissant, le regard habité, il a le charisme un peu inquiétant d’un sorcier. A côté de lui, un autre chanteur, petit et longiligne avec une bouille de cinéma. Il a l’air endormi et l’expression hilare du fumeur de chanvre. Il danse aussi très bien, avec des mouvements du bassin qu’on croirait impossible chez un être humain normalement constitué. Il a l’air d’être monté sur roulement à billes. Autour d’eux, des musiciens solides et survoltés.

Tout ce petit monde joue une musique complexe, pleine de surprises, de changements inattendus, de feintes, de petits mystères. Il y a là un univers riche fait de personnages et de faits étonnants. Ils chantent l’Homme de Kitokimosi et la Grève du Sexe (sans contorsions). Ils chantent des contes extravagants, dépeints avec force gestes, arabesques rhétoriques et vannes en lingala qui font rire le public aux éclats. Et ils dansent la chorégraphie stupide dite de l’Embrayage, qui m’enchante tout particulièrement (voir la vidéo ci-dessous).

Les Washiba ont clairement quelque chose. Du talent, du charisme, un propos. Un univers loufoque et foisonnant. Et, ce qui est rare, de l’autodérision à revendre. Nous sommes allés les voir en répétition dans la maison familiale en construction de Moïse, au quartier de Limete. Ils y jouent avec les moyens du bord. Le batteur tape sur une caisse de bière, un caillou et un balai. Quelques guitares, une basse acoustique antédiluvienne. Pas d’ampli. Hors de leurs costumes de scène, sous les yeux de leurs enfants et du petit public venu leur rendre visite, ils travaillent. Ça donne ça :

Ils galèrent. Ils avancent comme l’immense majorité des artistes congolais : comme ça peut. Ils répètent dans les parpaings crus en attendant la gloire, avec un enthousiasme rigolard et communicatif.
 
La capitale regorge de tels histrions, dont beaucoup n’ont pas le renom croissant des Washiba. Ils jouent dans les petits bistrots ou aux terrasses des cafés, montent des pièces de théâtre ou chorégraphient des spectacles de danse avec les subventions qu’ils peuvent trouver. Ils y tournent en dérision l’Etat, les roulages, la dureté du quotidien. Improductifs et nécessaires, ce sont de vraies cigales : ils chantent l’estomac vide, avec une constance et un engagement qui forcent le respect.

* Parce que c’est comme un schtroumpf peint en bleu. Ou Brassens avec une fausse moustache. Ou un crapaud déguisé en Jeanne Moreau

6 réflexions au sujet de « Les cigales »

  1. washiba-sse
    washiba-tterie
    washiba-lance le son, c'est de la bouuulette.

    Sinon, c'est toujours aussi bien qu'est ce que t'écris.

  2. oui mais moi, c'est la SAMBA de l'embrayage. Très différent. Rien à voir. Enfin quoique, peut-être pas tant que ça ; c'est vrai qu'en y réfléchissant bien, ça ressemble… et même beaucoup. Ouais bon, OK, c'est pareil.

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