A l’Alliance Française d’Addis Abeba, on peut apprendre l’amharique.
Les cours se déroulent dans une petite salle de classe ; de celles que l’on délaisse à l’âge adulte pour les moquettes productives des open spaces. Murs blancs et jaunes, sol à grands carreaux gris beige, élèves en rangs d’oignons sur des chaises à dossier de plastique. Epinglés aux murs dans des posters un peu passés, les volcans d’Auvergne et les paysages bretons surveillent gravement tout cela. Ils ont ici un air exotique qui leur sied.
Au tableau, Dawit, petit homme bedonnant à lunettes rondes et calvitie souriante, aligne d’une main preste les lettres sinueuses d’un alphabet vieux de mille ans. Les élèves plissent le front, aux prises avec les finesses infinies de la langue. Elle est faite de règles byzantines et d’exceptions dangereuses. On y trouve les animaux les plus bizarres ; du jussif, du causatif, du duratif, des biradicaux, des triradicaux. Rien que pour apprendre à dire bonjour convenablement il faut une leçon de deux heures. On se demande comment les Ethiopiens parviennent à lire le journal avant cinquante ans.
Mais à mesure que les heures passent, caractères tordus et verbes rétifs prennent corps. Mieux : ils donnent un sens au monde. Des expressions mille fois entendues dans la rue s’éclairent comme si on avait soudain braqué sur elles un projecteur puissant. Des pouvoirs nouveaux nous sont accordés : demander son chemin, déchiffrer un panneau, saluer le voisin, acheter la viande qu’on veut et non celle qu’on nous donne, comprendre ce qui se passe au coin de la rue, échanger, étonner, déclencher un sourire. Peut-être même, plus tard, dialoguer. Rien n’est plus gratifiant que de se sentir ainsi, de plus en plus sûrement, faire partie de son environnement.
Vers dix-huit heures trente, une à une, les innombrables églises et mosquées qui peuplent le quartier se mettent à chanter dans leurs haut-parleurs crachotants. Mille incantations, mille prières s’entrecroisent à travers le ciel nocturne dans une immense éruption dissonante et sacrée. Les professeurs haussent le ton. Au mur du fond de notre salle, les volcans mêlent aux psalmodies religieuses un silence qui n’est pas moins majestueux.
C’est l’heure merveilleuse de la collision des mondes. Les muezzins prient en arabe, les prêtres prient en ge’ez, le Puy Mary se tait, tout le monde parle de Dieu. Dawit, lui, enseigne. Les néons blancs de la salle maintiennent la nuit au-dehors. Et, suspendue dans l’obscurité où résonnent des voix graves, la classe avance à petits pas.
Merci Mathieu de penser à l’Auvergne qui t’embrasse.
tes articles sont plein d’enthousiasmes poursuis, tu est talentueux.
Alain du cantal