L’Auvergnate

C’est la terrasse d’un café, avenue de France, neuf heures du matin. Soleil frais, trafic dense, mines sévères, costards anonymes, marcheurs pressés des heures de pointe.

Je relis mes notes de la semaine passée. Juste à ma gauche, une très grosse dame noire coiffée d’un fichu bleu sirote un café en grillant des Marlboro. Elle n’est pas très discrète, produit beaucoup de fumée, s’agite, quémande un cendrier à grand bruit, s’empare d’un briquet à une table voisine sans demander l’autorisation. On la regarde avec une expression vaguement exaspérée, de celles que notre quotidien étriqué réserve aux importuns, aux encombrants.

Soudain, l’homme assis à côté d’elle, un grand monsieur en bermuda, la quarantaine peut-être, se met à pleurer.

Ce n’est pas une petite tristesse, un accès de nostalgie, non : le type sanglote éperdument, effondré sur sa consommation au milieu des klaxons et des ronflements de moteur, complètement indifférent aux regards étonnés qui l’entourent. Sur la terrasse, une gêne palpable remplace bien vite la curiosité. On plonge le nez dans son macchiato, ennuyé par cette détresse obscure et invasive.

Mais ma voisine, elle, se penche vers le monsieur qui pleure. Elle lui demande : « Ca ne va pas » ? Lui sourit à travers ses larmes, un tout petit demi-sourire très triste, et répond d’une voix qui tremble :

– Elle me quitte…

Alors elle étend une main boudinée et lui effleure l’épaule délicatement, presque une caresse, un geste magnifique de légèreté et de sollicitude, en murmurant comme à un gosse qui a fait un cauchemar : « Ca va se passer, Monsieur. Là, allez, ça va se passer… ».

Cela ne dure qu’une seconde. Il la remercie, vide sa tasse d’un trait.  Il ne pleure plus. Il s’en va.

Elle, de son côté, retourne à son café-clope. Je la regarde à la dérobée. Entre deux bouffées, d’un coin de manche, elle s’essuie les yeux.

Quelques minutes plus tard, elle remballe ses affaires et quitte la terrasse à son tour. Son vaste cul de prophétesse s’éloigne au long de l’avenue, porté par deux poteaux de jambes. Je la regarde, bouche bée. Les passants qui la croisent ne le savent pas, propulsés tout raides et songeurs sur leurs trajectoires matinales, mais dans le sillage roulant de la grosse dame noire, il y a toutes les grâces et toutes les pitiés.

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