Korrik

Sous le soleil pikërisht

Passé le mois de juin, la lumière albanaise n’éclaire plus, elle dissout. Hommes et chiens errants, véhicules, monuments, arbres et bâtiments disparaissent, privés d’ombre : tout s’aplatit sous l’immense éclat blanc. C’est le soleil de Meursault, le soleil assassin qui accable, qui enrage, qui rend tout effort vain, toute morale absurde et toute mémoire obsolète.

Les Albanais, qui ont l’habitude, ne s’en émeuvent pas plus que ça. Placides, ils choisissent un bout de terrasse à l’ombre, remontent leur ticheurte au-dessus du nombril pour s’aérer le bidon, et regardent passer les minijupes en sirotant un café frappé. Le week-end, ils embouteillent la route de la plage de dix heures à midi et demie, pestant contre les Kosovars qui ont l’impudence d’encombrer leur asphalte. Puis de midi et demie à dix-huit heures, ils se tannent le cuir sur le sable brûlant, exposant aux regards le vaste imagier de leurs tatouages, symboles ou prénoms, animaux, motifs maoris, devises, tout ce qu’il faut pour l’édification des enfants.

Enfin, s’étant au passage tapés un poisson grillé arrosé d’une canette, ils prennent en file indienne le chemin du retour, saoulés de soleil, de l’eau plein les oreilles, la peau toute rouge et noire comme l’aigle de leur drapeau. Dans le soir approchant, ils pestent encore un peu, pour la forme, contre tous les crétins qui ont décidé de partir en même temps qu’eux — mais le coeur n’y est plus. La route encore chaude fait trembler l’air du couchant ; la lumière atténuée, comme pour s’excuser de ses violences, restitue aux choses une existence plus aimable. Et c’est comme si toute la journée se concentrait dans cette heure-là, dans sa douceur, ses odeurs de crème solaire et de goudron fondu, ses promesses de vacances, le grand pardon des soirs d’été.

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