Et au milieu coule une rivière

Voilà plus d’un siècle que Brazzaville contemple Kinshasa par-dessus les quatre kilomètres du fleuve Congo. Ce sont, paraît-il, les capitales les plus proches du monde.

Pour nous, vue du côté kinois, Brazza se limitait à un rivage urbain, dominé par un clocher de cathédrale et une haute tour de verre à la forme excentrique. En dix mois à Kinshasa, nous ne l’avions jamais vue de plus près. Nous avions fini, confusément, par la considérer comme un décor de carton pâte posé de l’autre côté de l’eau.

Nous sommes donc presque un peu surpris, en débarquant, de constater que ce décor est fait de vrai béton et de vraies rues, et peuplé de vrais congolais (pas ceux-là, les autres).

Le beach brazzavillois ressemble à son voisin kinois. Mêmes installations décrépites, mêmes énormes registres remplis à la main par les officiers d’immigration, mêmes longues attentes, mêmes pinailleries stériles. Au total, le trajet Kinshasa-Brazzaville prend plus de deux heures. Soit une vitesse moyenne de deux kilomètres par heure. Un escargot irait plus vite, s’il savait nager.

Brazzaville, c’est un peu la petite sœur sage de Kinshasa. Dix fois moins d’habitants, des routes un peu meilleures, des lampadaires un peu plus nombreux, des rues un peu moins cradingues. On s’y promène tranquillement de jour comme de nuit. On n’y croise pourtant pas un seul blanc dans la rue. Ils sont tous en voiture.

Et on y fait facilement des rencontres. M. Sylvestre Mangouandza est le Vice-Président de l’Ecole des Peintres de Poto-Poto, ce qui lui fait beaucoup de majuscules sur sa carte de visite. L’école fut fondée il y a soixante ans par un peintre français nommé Pierre Lods, en pleine colonisation, avec cette idée révolutionnaire à l’époque : la création artistique africaine était en train de s’occidentaliser, donc de mourir. Il fallait construire un lieu d’expression où les artistes pourraient accéder au matériel nécessaire et peindre sans contraintes, sans règles, sans influences extérieures, leur « africanité ». Ce qu’ils firent, avec un succès international conséquent qui s’effondra avec la guerre civile.

Cela donne à réfléchir. Quoi de plus beau qu’une école de la liberté?

Ah, et aussi : quoi de plus utopique ?

L’Ecole est toujours là. C’est le même petit bâtiment qui abrite les artistes et leurs toiles, entouré d’arbres qui font un rempart contre la rue et son activité frénétique. Dans cette galerie trop étroite, les tableaux recouvrent les murs et s’empilent dans les coins. L’Afrique jaillit des toiles dans un kaléidoscope inégal de scènes de village, de peintures abstraites, de portraits mystiques, de street art porté sur toile. Il y en a pour tous les goûts et de toutes les couleurs*.

Assis sur la terrasse, Monsieur Sylvestre boit une Primus en compagnie de ses peintres. Si l’on veut, on peut causer avec lui, très simplement, de Kinshasa (« Kinshasa ? C’est un continent… »), de la peinture (« Moi la peinture, je la fume »), des dernières expositions de l’Ecole et du quotidien brazzavillois. A l’ombre d’un bananier. Loin des chichis de Beaubourg et des Technikartistes.

On repart sans toile : pas le courage de négocier. Peut-être nous reviendrons pour ces grandes silhouettes peintes au bord du fleuve à grands aplats mauves et bleus, et qui font un peu penser à un tableau de Nicolas de Staël.
En attendant, on va manger chez Maman Ro.
[A suivre]

*Un tout petit aperçu ? C’est là !

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