L’arrivée

A l’heure où j’écris, cela fait quatre jours déjà depuis que nous sommes arrivés à Kinshasa. Je ne vais pas pouvoir tout raconter ; il y en a déjà trop. Comme il y a quatre ans lorsque nous étions arrivés à Madras, c’est le déluge. De sensations, de couleurs, de mouvement, de goûts et de dégoûts, d’images et d’odeurs. Je m’en excuse d’avance auprès de vous : je vais devoir résumer.

La première chose qui frappe lorsqu’on traverse l’Afrique en avion, c’est le Sahara. Alors que l’on met à peine une heure pour parvenir à la Méditerranée, la traversée du désert en dure plus de trois. Les étendues de sable jaune d’or à perte de vue, écrasées de soleil sous le ciel d’un bleu profond, sont étrangement tristes à contempler. Au-dessus de cette immensité monotone, même vu de si haut, on se sent petit et désarmé ; j’ai passé le voyage à prier pour qu’on ne s’écrase pas dans cet enfer. De temps à autre, un petit village dont on ne comprend pas la présence rompt la routine. On ne voit pas bien de quoi vivent ses habitants. Peut-être ils se nourrissent de sable et boivent du vent.

Après cela, on se dit que les vastes forêts du Congo vont faire plaisir à voir. Eh bien pas du tout : une brume dense recouvre tout, on se trouve perdu quelque part entre du rien gris-bleu et le ciel bleu-gris. On flotte dans le néant. C’est un rien vertigineux et beaucoup moins intéressant.

Mais en arrivant sur Kinshasa sous un soleil couchant rouge sombre, on aperçoit enfin le Congo. Mel et moi avions cru, en descendant le Danube cet été sur nos vélos, être aux prises avec un grand fleuve. Ha! À côté du grand Congo, le Danube n’est qu’un mince filet d’eau de boudin. Colossal, lisse, majestueux, le Congo déroule de paresseux anneaux brun clair dans la plaine comme un boa endormi. Il enfle au niveau de Kinshasa et Brazzaville pour former comme une grande piscine, au milieu de laquelle vous regardent des îles agglomérées en forme d’oeil. C’est saisissant. Que l’on soit religieux ou pas, on a une sensation de sacré. C’est probablement un de ces endroits où la Création gagne une majuscule.

Bon, après l’atterrissage, on redevient un petit être sur deux pattes culminant à 1.8m, et qui espère qu’on ne va pas lui piquer son passeport à la douane. Mais l’arrivée est belle.

Je dis ça parce qu’on a piqué son passeport à Mélanie à l’immigration. Nous avons dû attendre une petite heure que le « protocole » (un albinos à casquette et lunettes de soleil chargé par mon employeur de nous réceptionner à l’aéroport, de récupérer nos bagages, et de retrouver les passeports qui disparaissent jusqu’à ce que bakchich s’ensuive) nous sorte de là.

La route qui nous ramène de l’aéroport est, euh, sombre. Rues noires et défoncées, sans éclairage public ni panneaux. Poussière. Ombres qui galopent dans les phares pour traverser la rue. Terrasses de bistrots mal éclairée. Façades basses, peintes aux couleurs d’une des deux marques de bière locales (Primus et Skol, on y reviendra peut-être).

Deux heures plus tard, nous mettons les pieds dans notre appartement. Il est grand ; il est climatisé ; le frigo est plein (pour une raison que j’ignore, il est surtout plein de pain). Enfin, il est décoré avec un goût discutable, comme en témoignent les dessus-de-lit à froufrous en simili-soie qui couvrent les plumards des deux chambres : un rose bonbon et un bleu lagon. Dans la pièce mitoyenne, les canapés d’un vert évoquant le caca d’herbivore offrent un contraste intéressant avec ce mauvais goût pastel. A part ça, on y est vraiment bien.

On y accède en passant un barrage de militaires. Assis toute la journée sur des chaises en plastique sur le côté de leur barrière rouge et blanche, ils glandouillent paisiblement avec leur Kalachnikov sur les genoux. Ils sourient et parlent peu ; je ne les aime pas trop.

Comme le dit au boulot le très sage Aristide Dabiré, « Trop de sécuwité tue la sécuwité ». Il a raison. On reparlera sûrement de lui plus tard.

Mais pour la galerie de portraits il vous faudra attendre mes agneaux, car le devoir m’appelle. Les notes sont prises pour les prochaines mises à jour, je tâcherai de ne pas tarder si ces premiers paragraphes vous plaisent.

A bientôt !

Avant de commencer…

Mbote na bino les aminches,

Avant de poster mon premier message, qui est en retard comme toutes choses ici à part la saison des pluies, je vous dois quelques explications :

  • Il n’y aura pas, ou très peu, de photos. Un décret interdit en effet de photographier quoi que ce soit dans Kinshasa, et avec mon appareil photo gros comme un néléphant il m’est difficile d’être discret. Je vais faire ce que je peux avec mon téléphone portable, tâcher de décrire le reste avec des mots, et pour le reste vous n’aurez qu’à venir, na.
  • Le titre du blog est un vieux proverbe lingala qui signifie « Dieu ne dort pas », ce qui équivaut à peu près à notre « La roue tourne » ou encore «On est dans une merde noire mais on a même pas mal». Je l’aime beaucoup parce qu’il est joliment formulé et parce qu’il va bien à ce pays. J’espère qu’on verra pourquoi dans ces pages.

Les commentaires vous sont ouverts. Si vous voulez en savoir plus sur un sujet ou un autre, crier votre joie ou expectorer vos griefs, dire coucou, faire partager à chacun vos mots zailés, c’est là que ça se passe.

Bonne lecture !