Dieu

 

Le Congo tombe en ruines, rongé de l’intérieur et de l’extérieur par des canailles en costume de marque. La pauvreté, le sida et les rebelles de l’Est y sont chez eux ; ils prélèvent chaque jour, à l’aveuglette, leur triste impôt. Les murs des maisons de la Cité s’effondrent sur leurs occupants à la première pluie, les mères meurent en couches, les enfants sorciers crèvent la faim sur les trottoirs de Kinshasa. Vêtus seulement d’un t-shirt grisâtre et d’un pantalon déchiré, ils interpellent le blanc qui passe avec dans la voix une nuance de défi. Expropriations, racket, corruption, accidents, maladie, deuils, désespoirs de toutes sortes sont le quotidien des gens.

Alors, il y a Dieu.

Nous sommes allés le voir dimanche dernier, à l’église du Christ en Mission, quelque part dans la commune de Matonge. C’est une église que l’on dit « du réveil ». Ces structures pullulent au Congo, menées par des prêcheurs charismatiques aux allures de gourou. Elles rassemblent des milliers de fidèles : tous les congolais croient en quelque chose. Comme en Inde, l’athéisme relève ici de l’anormal.
En lingala, l’église se dit Ndako na Nzambe, la maison de Dieu. Le Christ en Mission, lui, habite un hangar au toit et aux murs de tôles, garni d’une estrade, d’un pupitre, d’une sono crachotante et de rangées de bancs en bois. On y rentre peut-être deux cent personnes bien serrées. Mamas endimanchées, hommes en chemise, jeunes sapés comme à la parade.
Notre prêcheur du jour est un homme grand et bien nourri, vêtu d’un costume de soie grise impeccable. Comme de juste, il a laissé les étiquettes aux manches pour que la marque en soit bien visible. Sur la célébration de deux heures, il en passe une à commenter le texte du jour, Jonas et la baleine, sur le thème annoncé : « Jonas ou Joseph ». C’est assez saisissant. Il crie dans le micro. Il répète chaque phrase-choc plusieurs fois. Il maîtrise parfaitement le rythme de son discours, les silences, les pics d’intensité, la gestuelle. Il a la foule dans le creux de sa main. Elle lui répond à grand renfort d’exclamations et de hochements de tête. Ce qu’il dit ? Des choses très simples. Il dit qu’il faut chasser le mal (Jonas) de sa vie. Il dit qu’il faut y cultiver le bien (Joseph). Et surtout, surtout, il dit que Dieu va résoudre tous ces problèmes qui font la vie si compliquée.
C’est terrible de démagogie et de cynisme, et le prêcheur fait penser à ces images d’archives que l’on voit parfois de Mussolini. La gestuelle est la même, la rhétorique est la même, l’assistance réagit de la même façon. On a envie de crier au scandale. Mais il y a aussi quelque chose d’émouvant dans cette foule accrochée au beau costume brillant qui leur dit que ça va aller, que la vie est dure mais que les choses vont s’améliorer, que Dieu est là, qu’il ne dort pas. Qu’il ne dort pas.
Une fois le prêche terminé, on prie. Cela commence tout doucement. La musique démarre en arrière-plan. Batterie, chant et clavier. Dans l’assistance, quelques personnes commencent à parler à voix haute. Timidement d’abord, puis de plus en plus fort. Le prêcheur exhorte ses ouailles, les musiciens montent la pression, autour de nous les gestes se font plus amples, certains se frappent la poitrine ou serrent le poing ou lèvent les mains au ciel, les injonctions à Dieu montent vers les tôles du toit, le curé braille maintenant dans son micro, les enceintes saturent, le volume sonore devient insupportable, et puis d’un coup c’est fini. La vague folle de prières reflue. La bête ivre redevient la bonne assemblée de mamans et de papas bien sapés. Soulagement.
Après la catharsis, c’est l’heure de la quête. Je n’ose trop penser à la proportion de cet argent qui part directement dans les poches du costume de soie, dans une forme particulièrement écœurante de parasitisme mystique. C’est aussi le prix de cette drogue dure qu’est l’espoir. Ces prêcheurs sont des dealers de Dieu. Que faire ? Que penser ? Qui sommes-nous pour juger cela ? Il faut admettre, et c’est tout.
Evidemment on nous a repérés dans la salle, les deux seuls têtes blanches sur les bancs de l’église. Le pasteur nous fait lever sous les applaudissements de l’assistance, rouges comme des pivoines, avec l’impression diffuse d’être des imposteurs.
La sortie de l’église est plus facile. Les gens s’y retrouvent avec le sourire, se saluent, s’échangent des nouvelles. La fille qui nous a emmenés nous présente au pasteur, au prêcheur, à ses amis. Tout le monde apprécie notre présence : nous avons partagé là quelque chose d’important. Et puis, il faut l’admettre aussi, un portefeuille de mundele apporte plus à la communauté qu’un portefeuille de maman maraîchère.
Nous ne leur disons pas que nous ne reviendrons jamais. Ce serait malpoli.

Musique (2ère partie)

 

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Malgré tous mes efforts, je n’ai pu mettre la main ni sur Johnny Clegg, qui zouloute à Soweto en attendant la Coupe du Monde, ni sur Didier Barbelivien, qui glougloute au Puy du Fou en attendant la mort (Si vous ne comprenez pas cette introduction, relisez les commentaires du dernier article).
Il n’y aura donc pas de dissection cette semaine. Mais la musique continue. 
Kinshasa vit au rythme des concerts de ses héros. JB Mpiana, Koffi, Ferré et consorts se produisent chaque semaine dans leur fief – salle de concert, club ou bistro à terrasse – accompagnés le plus souvent d’un caravansérail entier de musiciens, de choristes et de danseuses.
Loin d’être un autel inaccessible où se produisent des demi-dieux, la scène ici est très proche de la salle. On voit fréquemment un type prendre la parole dans le public pour répondre aux allocutions que fait le chanteur entre les morceaux. Lorsqu’il est drôle, la foule se marre ; elle le fait taire lorsqu’il est importun. Mais l’interaction va encore bien plus loin : au concert de Tshala Muana, les gens pouvaient monter sur scène pour démontrer leurs talents de danseur de Mutwashi, sous les acclamations des autres spectateurs. (le Mutwashi est la danse traditionnelle du Kasaï. C’est, disent les congolais, une « danse de hanches ». Ils n’exagèrent pas. Pieds écartés, jambes très fléchies, mains tendues en avant pour l’équilibre, elle consiste essentiellement en des roulements suggestifs du bassin à faire frémir une statue d’ecclésiastique. C’est très technique. Les débutants se fracturent le coccyx. Les meilleurs, eux,  ont l’air montés sur roulements à billes).
Enfin, lorsqu’il est particulièrement satisfait d’un musicien, tout un chacun peut se fendre d’une petite obole pour dire merci. Il monte alors sur scène avec une poignée de billets en main, se met à côté de son élu, et lui colle une à une les coupures sur le front. Je n’ai toujours pas compris comment les types peuvent continuer à chanter alors qu’un inconnu leur tamponne la tête avec des billets de 500 balles. C’est un métier difficile.
D’habitude, le groupe commence seul. Pour chauffer la salle avant que le gros du public n’arrive, ils jouent pendant une heure des morceaux d’introduction sur lesquels un poulain du chanteur prend le premier rôle, saisissant l’occasion de se montrer un peu en attendant la diva. Au fur et à mesure que les spectateurs arrivent et que le groupe se lance, la pression monte dans la salle. On le sent. Le tempo s’accélère, les morceaux rallongent ; les fronts transpirent à grosses gouttes qui font mille petits soleils sous les projecteurs. Les guitares circulent en volutes rapides, soutenues par une section rythmique à l’efficacité de Panzer. Les danseuses passent sur scène régulièrement en costumes moulants, pour exécuter des chorégraphies toutes en épaules et en fesses rebondies qui allument les yeux des hommes et scandalisent leurs belles.
Lorsque la tête d’affiche entre enfin, c’est l’éruption dans la salle. Sûre d’elle et de son charisme, rayonnante dans son costume de scène extravagant, la diva accueille l’hommage avec un flegme souriant. Souvent, elle chante quelques-uns de ses grands succès avant de se retirer de nouveau, abandonnant pour quelque temps le champ de bataille à ses favoris. La plupart des grandes stars d’ici sont nées comme ça : on dit que « JB vient de chez Koffi » ou que « Koffi vient de chez Papa Wemba ». On peut construire comme cela des arbres généalogiques à la troisième génération. C’est très compliqué.
Tout cela dure. Les musiciens se déshydratent sur scène(©) pendant plus de quatre heures. Spectateur non averti, tu finis par te retrouver dans une sorte de transe musicale, pulsatile, où la notion du temps disparaît. La musique te traverse, mystérieusement liée aux gestes des musiciens et aux corps des danseurs.
Pris dans ce débordement scandaleux de rythme, de mouvement, d’énergie et de sueur, tu ne sais plus très bien de quelle couleur tu es.
Jusqu’à ce que tu essayes de danser.

Musique (1ère partie)

 
[Note préliminaire : quand vous lirez le signal sonore [*Ting*] dans le texte ci-dessous, montez le volume, prévoyez un peu de place autour de vous pour vous tortiller à l’aise et cliquez sur Play avant d’aller plus loin. Comment ? Vous êtes dans un open space ? Je veux pas le savoir, débrouillez-vous]
Les congolais dansent. Ils dansent partout, tout le temps, dès que l’occasion s’en présente. Pour un rien, dans la rue, au bistro, aux concerts, à l’église, aux enterrements, pour une bonne note, une rentrée d’argent ou un but du Tout-Puissant Mazembe.
Et comme ils savent danser ! La pulsation sort d’eux et les anime, tout à la fois interne et projetée au-dehors dans de gracieux mouvements de bras, des jambes, du cou, du dos, des fesses, de tout ce qui est articulé. A les voir, tu as envie de te couper les deux bras et les deux jambes. Par respect. Pour ne plus avoir honte de ces membres inutiles qui pendouillent gauchement le long de ton corps. Avec Mélanie, les regarder nous met en joie. On ne s’en lasse pas.
Il ne faut pas chercher la raison de ce talent dans un quelconque atavisme génétique venu du fond des âges. Ecorchez un français et un congolais côte à côte ; vous ne trouverez pas plus de rythme dans leurs peaux que de musique dans Christian Morin. Mais [*Ting*] écoutez la rumba congolaise, et tout deviendra évident.
Les congolais dansent si bien parce que leur musique est partout, que le pays entier baigne dedans, et parce qu’elle parle directement à ton cul sans passer par ton cerveau. Née de sa grande sœur cubaine dans les années 50, elle a crû et s’est diversifiée, inondant le continent africain entier de rythmiques chaloupées et de déclarations d’amour en lingala.
Ses chantres forment un amas luxuriant et compliqué de galaxies que je commence juste à découvrir. Ils sont connus sous des pseudonymes parfois étonnants : Sarkozy, Lacoste ou Bill Clinton. Leurs orchestres ont toujours leur propre nom.Ce sont le TP OK Jazz, le Quartier Latin, le Wenge Musica 4×4.
A la base des morceaux, une rythmique ultra-dansante, carrée, solide, faite de basse, de batterie et de percussions. Le batteur annonce la couleur, poum-tchi-tchi-poum-tchi-tchi-poum avec la grosse caisse bien au fond des temps ; le bassiste tourne quatre accords, les mêmes pendant tout le morceau. Le percussionniste percussionne. Parfois, un clavier marque les transitions par des pêches de cuivres qui sonnent toujours, quel que soit le modèle du synthétiseur, comme des crécelles en mousse. A eux quatre, déjà, passez-moi l’expression, ils ambiancent à l’infini, mon ami.
Par-dessus ces fondations se promène le guitariste, qui est la star cachée du groupe et, en général l’éminence grise du chanteur. Son rôle est d’enluminer le morceau de motifs aigus, sautillants, parfaitement exécutés et toujours renouvelés : ils structurent le morceau et permettent au public de distinguer les passages où l’on danse de ceux, euh,  où l’on danse aussi, mais moins fougueusement.
Les chanteurs, quant à eux, cultivent un charisme énorme, une tessiture ébouriffante, énormément de talent au chant (si cela vous paraissait évident, réécoutez Vincent Delerm) et une endurance surhumaine sur scène.
Ce sont des musiques chaudes, vivantes, fourrées de pili et de sexe débridé ; et alors les concerts… Je ne vous raconte pas. Enfin si, mais la semaine prochaine, si ça vous dit.
Bon week-end à tous !

Arbres

A Kinshasa, avec ses 28 à 38 degrés permanents et son atmosphère de serre, tout pousse comme du chiendent. Pourtant, le noyau d’avocat que nous avons mis à tremper dans un verre d’eau en attendant qu’il germe nous nargue. L’air renfrogné, il pourrit obstinément sur notre balcon depuis deux semaines. Ce qui prouve au passage que, pour le jardinage, nous avons le même talent qu’un bonobo pour l’abstinence. On préférerait le contraire, mais les choses sont ce qu’elles sont.

A Kinshasa, donc, l’arbre est de rigueur. La ville en est pleine. Ils poussent sur les bords des routes et dans les jardins, ils fissurent les murs, fendent les routes ; ils envahissent la ville à leur manière lente, insidieuse et puissante. Contre cette pression végétale, l’homme se défend comme il peut. L’année dernière, d’ingénieux urbanistes kinois ont fait abattre les hauts arbres qui bordaient l’artère principale de la ville. C’est ainsi que le boulevard du 30 juin, autrefois vert et ombragé, est maintenant un ruban de goudron nu parcouru à des vitesses démentes par des monstres métalliques. Mélanie et moi ne le connaissons que comme cela et le regrettons un peu.
Et comme par hasard, le mois dernier, un arbre s’est abattu dans le quartier de Bandalungwa sur un automobiliste qui passait par là. Le pauvre en est mort (l’automobiliste). Vengeance ?
Cependant la paix règne dans les jardins. Invités il y a deux semaines à une fête organisée en extérieur, nous avons passé la soirée à quelques mètres d’un banian gigantesque. Nzambe ! qu’il était beau, haut et large ! De son tronc épais et tentaculaire partaient des branches de l’épaisseur d’une cuisse de catcheur, d’où pleuraient vers la terre des dizaines de lianes. Car les banians sont ainsi faits que ces lianes qui pendent de leurs branches, s’enracinant en terre, forment après quelque temps  de nouveaux troncs. De ces fûts partent de nouvelles branches, qui projettent des lianes, qui s’enracinent en terre, et ainsi de suite. Les congolais, qui sont très forts pour nommer les choses, l’appellent en lingala Arbre qui Marche. Il y en a un, à la Société Théosophique de Madras, dont le réseau couvrait ainsi plusieurs hectares. Ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt, c’est l’arbre-forêt. C’est prodigieux.
Ergo : les banians ont du chien. Devant celui de l’autre jour, si grand, si vieux, je me suis senti tout petit et fragile. J’ai pensé à mon grand-père, qui savait les arbres. Il aurait aimé celui-là. 
Les arbres d’ici sont comme les congolais : ils en ont vu des vertes et des pas mûres. Le plus petit avocatier , pour peu qu’il ait un peu vécu, a traversé deux guerres civiles. Un manguier encore jeune a vu passer l’indépendance, trois présidents, un Mobutu. A Kinshasa, les palmiers, les banians, les arbres du voyageur ont été les témoins d’horreurs sans nom et de liesses énormes. Présences solides dans un monde instable ; pleines et honnêtes dans un monde en poupées russes ; simples au pays du compliqué, ils traversent en silence un début de siècle inquiet et douloureux.

Pour ces arbres qui entendent toute la journée parler le lingala, le même mot désigne la pluie et les années. Le temps et l’eau sont une même chose pour eux, qui s’écoule et les nourrit : mbula. Ils sont, comme l’écrivait l’ami Jules, « Arbres malgré les événements ». On ne saurait le dire mieux.

Poésie des kinois

[Désolé pour le retard de publication, mon ordi a passé le week-end à l’ambassade américaine. Moi pas, c’est toujours ça]

 

 
Visuellement, Kinshasa n’est pas une belle ville. Elle offre aux premiers regards des rues sales et poussiéreuses. Au sol des marchés, papiers gras et ordures font une mer grisâtre dans laquelle, au début, on ne s’aventure qu’à regret. Dans la Gombe, qui est le quartier des affaires, des administrations et des résidences de Mundele, les rares tours de la ville s’effritent doucement au soleil, laissant voir çà et là leur squelette d’acier.  Tout est décrépit, borgne, cassé, passé, incomplet ; les bâtiments et les voitures ; le mobilier et la voirie ; les objets de plastique multicolore moulés en Chine et que l’on trouve ici partout. 
Ca doit être bien triste, me direz-vous. 
Pas du tout. 
Ces cahutes en ruine, ces rues défoncées sont animées d’une énergie étonnante. La foule bouillonnante des quartiers de la cité déborde d’activité. C’est un concert de cris, de klaxons, de négociations inabouties, de pleurs d’enfants, de disputes et de bêlements, dominé de temps en temps par le bruit de bouche bizarre des vendeurs d’ « eau pire » qui fait un peu comme une paille bouchée. Dans ce cauchemar d’agoraphobe, les couleurs vont, viennent et se mélangent. Pagnes des femmes, publicités pour la bière, enseignes peintes à même le mur des cahutes, taxis-bus jaunes et bleus omniprésents et puis, partout, brun noir profond des peaux. C’est beau à voir et c’est follement vivant. 
Ce n’est pas pour autant un monde facile. Les conditions de vie d’une grande majorité de congolais sont extrêmement pénibles. Certains se lèvent à 4 heures du matin pour venir à pied au centre ville depuis leur quartier périphérique. Ils font pour cela 8 kilomètres en poussant leur charrette chargée ras-la-gueule de bidons, de ferraille, de bois, de bouffe : ils vont pieds nus dans la bouillasse gagner le pain du jour. A la fin de la journée, ils font le chemin dans l’autre sens avec quelques milliers de francs en poche. D’autres, qui ont mieux réussi, ont un travail régulier dans un bureau quelconque. On les voit le matin sur la route, entassés à vingt dans les taxi-bus trompe-la-mort qui les emmènent au boulot. Tous les jours, tous les jours, tous les jours. Et tous trouvent encore l’énergie pour danser. Leur courage force le respect.
C’est peut-être par réaction à ce quotidien si rude que les congolais cultivent avec bonheur trois qualités : le sens du merveilleux, celui du sacré, et celui de la formule. Pour le voir il suffit de se promener deux minutes. Leur boutique croulante s’appelle Etablissements Phénoménal, leur taxi pourri est estampillé Jésus Ma Route ou Toujours de l’Avant. Leurs clubs de foot sont le Tout-Puissant Mazembe ou le Sa Majesté Sanga Balende. Les groupes qui accompagnent les chanteurs de rumba ne sont pas en reste. Au Congo, on écoute le Wengé Musica Bon Chic Bon Genre, son concurrent le Wengé Musica Maison Mère, Le Tout-Puissant OK Jazz ou La Reine du Mutwashi. Le quotidien déborde de ces petites surprises. Une foule de noms ronflants, d’expressions inattendues, d’enluminures pompeuses colore le paysage. Le rend drôle. Le rend supportable.
Voyant cela, moi l’Européen, nourri dès l’enfance de pragmatisme et de marketing sophistiqué, j’ai parfois envie de dire avec une pointe de condescendance amusée : « comme c’est naïf ». Ce n’est pas naïf. Quand on y réfléchit bien, c’est un grand pouvoir : celui d’enchanter son monde. C’est la capacité à faire d’un environnement qui croule de partout un lieu vivable et même joli. C’est le contraire du cynisme. Et au fait, la poésie, c’est exactement ça, non ?